Le Coût Économique du Baccalauréat au Sénégal

Comme je le fais souvent, j’ai appelé mes cousins pour prendre de leurs nouvelles. Je me souviens d’une conversation particulière que j’ai eue avec mon cousin Modou il y a quelques années. Lorsqu’il a décroché, j’ai remarqué un tremblement dans sa voix. Quand je lui ai demandé ce qui n’allait pas, Modou a répondu : “Oh, rien, mon frère, je n’ai juste pas mangé.” J’ai immédiatement soupçonné qu’un membre de la famille était malade ou qu’il y avait des problèmes financiers. Mais Modou a continué en révélant qu’il ne pouvait littéralement pas manger parce qu’il se préparait pour le Bac et qu’il était anxieux quant à son avenir s’il échouait. En tant que plus jeune de cinq enfants, il ressentait une immense pression pour réussir l’examen, comme l’avaient fait ses frères et sœurs aînés avec brio.

L’examen du Baccalauréat (Bac) au Sénégal est devenu un obstacle majeur, freinant la croissance économique du pays de plusieurs décennies. Loin d’être un outil de progression éducative, le Bac est notre plus grand problème, avec des répercussions qui pourraient se faire sentir pendant 50 ans. Si le Président Faye et le Premier ministre n’implémentent pas une nouvelle structure, nous regretterons le Bac dans un demi-siècle en repensant aux opportunités qu’il a étouffées.

L’Héritage de l’Éducation Coloniale

Comprendre l’impact néfaste du Bac nécessite d’examiner le contexte historique. Parmi toute l’aide bilatérale que la France fournit, 57% va à ses anciennes colonies, avec une part significative (25%) dédiée à l’éducation. Cependant, cette aide est souvent assortie de conditions, mettant l’accent sur la promotion de la langue et de la culture françaises. Cette imposition culturelle a des racines profondes.

Les fournisseurs d’aide ont non seulement exploité les ressources et les populations du Sénégal économiquement, mais ont également poursuivi “une mission civilisatrice”, en particulier dans les communautés de Dakar, St. Louis, Rufisque et Gorée. Cette mission, comme le note Bawa (2013), visait à exercer un contrôle sur les aspects culturels et mentaux de la population colonisée. La citation de Wa Thiong’o (1986) souligne cette stratégie : “Le contrôle économique et politique ne peut jamais être complet ou efficace sans contrôle mental. Contrôler la culture d’un peuple, c’est contrôler ses outils d’auto-définition dans ses relations avec les autres.”

Le Cheval de Troie de l’Éducation

Le gouvernement colonial français considérait l’éducation comme un “cheval de Troie”, un moyen de créer des travailleurs de niveau inférieur et intermédiaire pour les entreprises françaises et européennes tout en sapant les cultures indigènes. L’imposition de la langue française dans l’éducation a encore renforcé ce contrôle, avec des sanctions sévères pour ceux utilisant des langues locales. Cette stratégie a laissé un héritage durable sur le système éducatif sénégalais.

Après l’indépendance du Sénégal en 1960, le pays a conservé le système scolaire en langue française. Malgré le changement de gouvernance, le système éducatif et les institutions ont rarement changé. Le ministère de l’Éducation contrôle toujours les réformes, les programmes et les nominations des enseignants, perpétuant ainsi l’influence coloniale.

L’Inefficacité du Bac

Ousmane Sonko, le nouveau Premier ministre du Sénégal, a exprimé ses préoccupations concernant le Bac. Sonko estime que le Bac, tel qu’il est, ne sert pas les intérêts des étudiants sénégalais ni de la nation.

Cette augmentation des redoublements confirme son point de vue car elle a été constante dans toutes les démographies, y compris les filles et les garçons, les étudiants urbains et ruraux, et ceux issus de ménages aisés et pauvres. Bien que l’écart ne se soit pas creusé après les fermetures d’écoles, les étudiants les plus pauvres restent beaucoup plus susceptibles de redoubler une classe. Cela augmente non seulement les coûts éducatifs pour les familles mais accroît également le risque d’abandon scolaire.

(National Agency of Statistics and Demography, 2019)

Les résultats du Bac 2023 montrent un taux de réussite de 51,54%. Sur 155 109 candidats, seulement 77 284 ont obtenu le diplôme, avec seulement 7 642 recevant des mentions. Ce taux d’échec élevé a des implications économiques significatives. Les étudiants qui échouent doivent redoubler, entraînant des coûts supplémentaires et retardant leur entrée sur le marché du travail. Cela contribue à un taux de chômage des jeunes plus élevé et limite la mobilité sociale, exacerbant la stratification économique.

Les Conséquences Économiques et Sociales

En 2024, environ 41,9% de la population a moins de 15 ans. Avec une population aussi jeune, l’accent devrait être mis sur la préparation des jeunes au marché du travail par différentes voies ou opportunités professionnelles.

L’impact économique de l’échec au Bac est multifacette. Les étudiants qui repassent l’examen retardent leur entrée sur le marché du travail, perdant ainsi des revenus potentiels. De plus, redoubler une année ajoute une pression financière sur les familles et l’État. Le Bac est souvent un prérequis pour l’emploi formel, conduisant à un chômage des jeunes plus élevé. Les taux d’échec touchent de manière disproportionnée les milieux socio-économiques inférieurs, limitant la mobilité sociale. Les étudiants qui échouent et ne poursuivent pas leur éducation représentent une perte de talent et d’innovation potentiels. Le stress et la stigmatisation de l’échec peuvent affecter la santé mentale des étudiants et leur productivité future. À long terme, une main-d’œuvre moins éduquée entrave le développement national et la compétitivité mondiale.

Conclusion : Un Appel à la Réforme

L’examen du Baccalauréat ne sert pas le Sénégal ; il nous freine. Pour avancer, la nouvelle administration doit réformer notre système éducatif pour mieux aligner avec nos besoins et aspirations nationaux. En abordant les causes profondes des taux d’échec élevés et en mettant en œuvre des réformes éducatives adaptées aux talents et au contexte de nos étudiants, nous pouvons atténuer les impacts économiques et contribuer à un avenir plus robuste et équitable pour le Sénégal. Le Bac, tel qu’il est, est une relique coloniale qui ne sert plus nos intérêts. Il est temps de changer.

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